L’autiste dans la forêt de fleurs, 1991 – acrylique sur toile, 213.5 x 516
Passer devant cette immense toile, une première fois, on découvre quelques fleurs au premier plan, les couleurs, le travail. On reste encore un peu en retrait, prudence. L’œuvre est monumentale et ne nous laisse pas longtemps en bordure. On entre dans la peinture, elle nous chope, nous embarque dans sa profondeur.
Et la rencontre avec ce regard qui ne peut nous laisser indifférent. Cette œuvre est puissante, le style est autre et pourtant semblable. On entre dans cette peinture, comme dans un conte. La forêt est dense, oppressante, forêt de fleurs ? Pas sûr, forêt profonde, et sombre, habitée. Des fleurs trop grandes aux parfums enivrants, on aperçoit très loin une toute petite frange de ciel derrière les hautes herbes. Un regard direct se plante dans le notre, au-dessus un front fatigué d’avoir trop cherché à voir, surmonté d’une drôle de couronne, comme des ronces ou des griffes. Et ce regard infiniment tranquille et triste. Seul au monde, mais roi d’une forêt de fleurs. Seul au monde pour toujours enfermé ? Combas nous présente un « autre », petit prince venu d’ailleurs, seul avec mille fleurs géantes.
Un vieil enfant à la bouche rouge comme une cicatrice, qui ne peut s’ouvrir, ni « parler, chanter ou rire ».
« Le fou triste aime la vie mais il est autiste et n’arrive à converser qu’avec sa forêt de fleurs dont il est le roi. Ses sujets l’honorent et le décorent de leurs pétales de toutes les couleurs et leurs parfums illuminés tirent des boulets de canon d’odeur luxuriante. Le fou triste est au paradis, mais il est autiste. Quand pourra-t-il retrouver la vie qui s’en va à mesure ? Combien de temps va-t-il encore attendre sans pouvoir parler, chanter ou rire. Il sait qu’il est sur la bonne voie. Déjà la terre lunaire a disparu pour faire place à toutes les fleurs de la création mentale. Déjà il a supprimé l’hiver et l’automne sur son calendrier cervical.» Robert Combas
Les mots de Combas sont beaux et tristes comme une ballade ancienne qui s’écrit et se réinvente dans le creux d’un rêve. L’artiste est là tout prêt, il chuchote à notre âme attentive, nous livrant jusqu’aux dernières gouttes de ses méandres inconscients, frôlant dans un frémissement la frange de nos sens. Un conte se dit, dévoilant des passages étranges et délicats.
Nous n'en saurons guère plus, mais nous pouvons saisir la qualité et la force de la présence, dans cet instant hors du temps, dans cette rencontre rare avec un enfant muet ; la tension d’un regard qui cherche à nous atteindre.
Cath Rostain
6.03.12